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Boris Mikhailov a choisi de ne pas choisir son camp ; aussi son œuvre est-elle la plus riche des photographes ayant émergé de l'ex-Union Soviétique. En près de quarante ans de carrière, il a toujours vacillé à la frontière entre l'art et le documentaire. Ses images ambivalentes sont extraordinairement conceptuelles, tout en constituant parallèlement un témoignage visuel incontestable, notamment de la vie quotidienne sous le régime communiste. Un témoignage d'autant plus précieux que ses photographies contournent agilement le style réaliste-socialiste grâce au refus systématique du photographe de devenir un photojournaliste à part entière et d'enregistrer un documentaire social à la gloire du régime.

Mikhailov a également jonglé avec les styles et les thèmes. Il est impossible de lui attribuer un genre précis ou de dégager une thématique récurrente. Son travail est une combinaison de techniques, d'idées et de messages qui peuvent être décryptés à plusieurs niveaux, abordés sous une multitude d'angles. N'ayant jamais reculé devant les expérimentations de toutes sortes, Mikhailov maîtrise aussi bien la retouche des tirages que la prise de vue, les compositions théâtrales que les instantanés. Aussi efficace en studio que dans la rue, il ne manque jamais d'imagination et n'hésite pas à se placer aussi bien devant que derrière l'objectif. Peu de photographes parviennent à multiplier ainsi les styles, tout en gardant une cohérence sur le fond.

Boris Mikhailov est devenu photographe par accident. Il naît en 1938 à Kharkov, en Ukraine. Au début des années 60, il intègre une usine locale en tant qu’ingénieur. En 1966, la direction lui confie la réalisation d’un reportage sur son lieu de travail. Boris Mikhailov profite d'avoir à sa disposition un appareil pour faire quelques photos en privé, plus précisément des nus de sa femme. Ces images sont découvertes et confisquées par le KGB. En effet, l’idéologie soviétique ne tolérait que la nudité peinte par les maîtres classiques et exposée dans l’enceinte des musées. Par conséquent, les premiers pas de Boris Mikhailov vers l’expression artistique se soldent par un licenciement immédiat.

Dès lors, il décide de ne se consacrer plus qu’à la photographie. Pleinement conscient qu’en Union Soviétique transgresser les règles n’est jamais payant, il réalise une première série, Rouge, qui, en apparence, suis parfaitement les règles imposées alors aux photographes. Toutefois, il parvient avec habileté à glisser un commentaire critique sur le mode de vie de ses contemporains et montre subtilement les lacunes derrière les symboles, la tristesse et la peur derrière le rouge des drapeaux.

En attendant la reconnaissance internationale, il gagne sa vie en retouchant, restaurant de vieilles photos de famille. Cette pratique lui inspire d’ailleurs sa première série véritablement conceptuelle Luriki, puis Sots Art. Dans ces clichés qu’il repeint à la main, sous une allure résolument pop, se profilent l'amertume et la nostalgie. Cette dualité dans les images se retrouve tout au long du travail de Mikhailov. Régulièrement, des sentiments contraires bataillent au sein d'une même photo. La douceur suggère la mort, l'humour a pour mission d'occulter les questions existentielles, l'horreur acquiert un fond de bouffonerie devenant un spectacle grotesque et hilarant.

Du 5 novembre au 23 décembre 2005, la galerie Suzanne Tarasiève présente une sélection de ces images ambiguës, propose un éventail de styles et de décors, un échantillon d’humeurs et de techniques. Ayant pour l’occasion investit un espace supplémentaire au 5 rue Louise Weiss, Suzanne Tarasiève offre ainsi la première exposition importante de l’oeuvre de Mikhailov en France depuis celle du Centre National de la Photographie en 1999.

L'exposition met en lumière une des particularités de Mikhailov : une approche surprenante des sujets se démarquant généralement par leur banalité. En effet, lorsque d'autres photographes s'évertuent à trouver des idées innovantes, partent à la conquête de l'exclusivité, Boris Mikhailov aborde des sujets communs et mille fois traités, mais sous un angle inattendu et provocateur.

A l'heure où l'auto-célebration domine dans la société, à l'ère du Moi démesuré, la dérision est au programme dans la série d'autoportraits Je ne suis pas moi. Le photographe, entièrement nu, prend des poses rappelant les statues de l'Antiquité. Mikhailov se moque de lui-même en s'arrogeant un rôle d'athlète ridicule, de sex symbol improbable.

Si j'étais un Allemand (1994) est une autre illustration de l'humour si particulier du photographe. Cette série, parmi les plus controversées, met en scène Mikhailov et ses proches. Déguisés en officiers nazis, ils miment des scènes érotiques avec, on le devine, les victimes opprimées du régime dictatorial. Les martyrs présumés aussi bien que les bourreaux semblent trouver ces jeux particulièrement agréables créant ainsi une dérangeante atmosphère de violence, de sexe, mais aussi de profanation. Montré en Allemagne pour la première fois en 1995, lors du 50ème anniversaire de la fin de la Seconde Guerre Mondiale, Si j'étais un Allemand est perçu comme une insulte aux victimes de la tragédie.

La manière dont le photographe aborde l'épineuse question de la condition des sans-abri, est également à l'origine de réactions très vives et pose une multitude d'interrogations éthiques. Case History (1997-1998) est, visuellement, la série la plus insupportable. Près de 500 images relatent la vie des clochards à Kharkov et illustrent les désastreuses conséquences du démantèlement du mythe soviétique. Les clochards deviennent, devant l'objectif de Mikhailov, les acteurs d'une tragédie existentielle qu'il n'hésite pas à diriger, à mettre en scène en échange de quelques billets imitant ainsi volontairement ce qu'il appelle "le nouveau moyen de communication dans toutes les zones de l'ex-URSS".

La provocation et la surprise perpétuelle créent l'unité de l’oeuvre de Mikhailov que met en relief l'exposition à la galerie Suzanne Tarasiève.

Natalia Grigorieva

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Boris Mikhailov