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Vernissage samedi 15 et dimanche 16 novembre 11h - 18h

«In These Great Times» est un nouvel ensemble de travaux d’Uriel Orlow (*1973 à Zürich) dont la première configuration est présentée à la galerie BLANCPAIN ART CONTEMPORAIN de Genève. Cette installation comprend 35 dessins au marker sur papier aquarelle, du texte polycopié, 2 diptyques photographiques, 2 vidéos à un écran, un environnement sonore conçu spécialement par Mikhail Karikis, une affiche sérigraphiée en lettres d’or et une pile de journaux.

L’Histoire demande du tact. Par exemple, dans l’histoire anecdotique du Café Odeon de Zürich, nous trouvons des configurations d’artistes, de demandeurs d’asile, d’extrémistes, de guerre, d’isolationnisme, de journaux, de censures et de réactions – des chaînes d’associations et de connections qui pourraient nous amener à tirer des conclusions hâtives et mêmes des parallèles. Cependant, il faut de la modération pour préserver ce qu’il y a de puissant et d’immédiat dans ces membra disjecta: ils sont vitaux, car ils sont accessoires. Des interpolations les priveraient de leur éloquence. Au lieu de cela, ils peuvent être introduits dans de nouvelles configurations qui ébranlent notre perception confortable de la chronologie.

Dans sa série d’oeuvres basées sur le Café Odeon, Uriel Orlow nous présente les éléments éclatés d’un film: fragments de recherches, repérage, casting. Les personnages, les habitués du café, sont représentés comme des pin-up iconiques et bien que certains soient immédiatement reconnaissables – Brecht, Lénine, Einstein – nombreux sont ceux qui restent irrémédiablement inconnus. En même temps, le café lui-même se décompose en ses éléments: son illustre histoire se détache de ses données physiques, son marbre et son bois, qui semblent déboucher sur leurs propres histoires plus primitives. Ces moments d’attention soutenue aux surfaces et aux matériaux – de ‘matérialisme vulgaire’ comme Lénine aurait pu le dire – représentent une limite, le point où nous devons nous demander ce qui constitue réellement cet endroit: la simple matière peut-elle avoir une histoire? Même si nous considérons le café comme un espace social, un point de croisement de différents parcours erratiques, ses temporalités semblent se télescoper: devons-nous le considérer en fonction des années, ou des décennies, pendant lesquelles certaines personnes l’ont fréquenté ou devons-nous nous demander quelle heure du jour ou de la nuit a pu les trouver là, à leur table favorite? Vu que la plupart d’entre eux ne se seront connus que superficiellement, voire pas du tout, et qu’ils ne partagèrent pas de philosophie ou de cause communes, que veut dire le fait de les réunir maintenant, dans cette étrange réunion de classe ? Peut-il exister une histoire des clients – des consommateurs?

La manière dont Orlow questionne notre désir de continuité est radicale: il suggère que la vérité de cet espace périphérique n’est pas telle que l’on puisse la raconter. A une époque où chaque bar à la mode affiche la prétendue histoire de son lieu (en général une fabrique réhabilitée), le travail d’Orlow nous demande comment nous pouvons lire le passé d’une manière qui n’implique pas une simple hiérarchie par rapport au présent. Plus encore: il veut savoir ce qu’est l’histoire et comment elle se lie à une institution, une chose, un espace, un visage. Ces visages, dans les dessins, ne sont pas là simplement pour être nommés, identifiés; leur évidence absolue est une énigme. La fragilité du projet tout entier est sa fidélité à la nature fragmentée de son sujet, qui demande de prendre le risque d’une certaine forme de silence.

Karl Kraus, qui fut un habitué du Café Odeon, écrivit la conférence qui donne ici son nom à la fois à l’exposition et à la vidéo dans laquelle elle apparaît. Kraus énonce dans ce texte une série de tabous concernant ce qui, dans l’Autriche de 1914, ne semblait plus accessible au langage; ses phrases lapidaires reconnaissent, de manière exemplaire, leur propre situation inextricable. Mais son cri de ralliement ironique pourrait encore servir de modèle pour une réponse qui va au-delà de la résignation, modèle auquel Orlow a prêté attention: «Que celui qui a quelque chose à dire s’avance et se taise!» [Mike Sperlinger]

Uriel Orlow (né en 1973) est un artiste suisse qui vit et travaille à Londres. Son travail aborde des récits impossibles et établit des correspondances entre des lieux disparates, des recherches en archives et différents régimes d’images, en suivant des liaisons associatives et conceptuelles qui englobent la mémoire, l’histoire, la traduction et sa propre biographie. En 2008, il était lauréat du concours fédéral d’art à Bâle. Parmi ses expositions et projections récentes: Troisième Triennale de Guangzhou (Guangdong Museum of Art, Chine); Tate Modern, Londres; International Short Film Festival, Oberhausen, Allemagne; Fri-Art, centre d’art contemporain Fribourg; Whitechapel Gallery, Londres; Festival international du film de Locarno; British Film Institute Southbank, Londres; Videonale (Kunstmuseum Bonn, Allemagne et Museo Nacional Centro del Arte Reina Sofia, Madrid) et Institute of Contemporary Arts (ICA), Londres. Expositions personnelles en 2008: The Jewish Museum, New York; London Gallery West; Argos, Bruxelles et ICIA, Bath.