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The work of Philip-Lorca diCorcia melds the documentary tradition with the worlds of fiction, cinema and advertising. Whether lighting up the face of an anonymous passer-by or that of a model seemingly frozen in their perfect beauty, the photographer allows us to see the reality he is observing behind these figures, thus creating a powerful connection between reality, fantasy and desire. Between snapshot and staged image, between reality and artifice, diCorcia's compositions mix chance and complex narrative. "He creates an artistic enigma by juxtaposing the frozen fashion plate and real life against a busy, suggestive background. Together, these elements constitute a diCorcia photograph: rich, succulent and intense." (Jeff Rian, Œil à gages: Philip-Lorca diCorcia, Paris: Almine Rech Editions, 2001). Pressetext e

Parce qu’elles associent au style documentaire une construction complexe de l’image, les photographies de Philip-Lorca diCorcia ne se laissent pas consommer dans l’instant. Elles exigent au contraire temps et attention pour que se révèle toute l’intensité qu’elles contiennent.

A Storybook Life, son travail le plus récent, est une suite de 76 photos faites au cours des 20 dernières années, dans laquelle plusieurs lieux et plusieurs personnes reviennent et se croisent, créant ainsi une grande fresque de la vie quotidienne qui peut se lire aussi comme une discrète autobiographie. Ce travail est accompagné dans l’exposition par des ensembles importants de séries antérieures telles que Hollywood, Streetwork, et Heads, ainsi que Two Hours — 11 images de grand format faites dans une rue de La Havane en l’espace de deux heures, du même endroit, à l’aide d’un dispositif d’éclairage et de déclenchement automatique.

Présentation des œuvres Comprenant 76 photos, la série A Storybook Life permet une totale immersion dans l’œuvre de Philip-Lorca diCorcia. Comme le souligne l’artiste, le titre indique qu’il s’agit à la fois d’une histoire et de la vie, de la mise en relation des images entre elles, pour constituer une trame narrative et fictive, comme dans un livre d’images.

Philip-Lorca diCorcia montre les rituels banals du quotidien. Organisées comme dans un album de photos personnelles, les images se succèdent, sans chronologie apparente et révèlent thèmes, personnages et contextes qui s’interconnectent, bousculant l’ennui auquel est trop souvent lié le quotidien. Comme dans une biographie, il arrive que les mêmes personnes réapparaissent à différents moments de leur vie. Certains protagonistes regardent la télévision au lit, d’autres sourient béatement à leurs animaux, prennent un bain, prennent l’ascenseur, jouent aux cartes… Rituels de vacances, rituels ménagers : voilà les thèmes préférés de l’artiste qui transforme ces instants, les plonge dans une lumière cinématographique éclatante…

Philip-Lorca diCorcia accentue et fixe chaque expression gestuelle ou faciale pour donner à ses personnages l’aspect de mannequins : un bébé allongé dans l’herbe fait penser à une poupée, un homme qui plâtre son plafond ressemble à une statue. Des maisons vides, des rues désertes sont regroupées, formant de petites villes au milieu d’un no man’s land américain. Un homme torse nu, tatoué, échevelé est assis au bord de son lit, devant une machine à écrire, dans une chambre sans âme ; son compagnon dort près de lui. Deux enfants à quatre pattes sont captivés par quelque chose que l’on ne voit pas. Un jeune homme regarde une femme en bikini jaune, assise dans sa voiture.

"Je ne suis plus un jeune homme, j’ai une vie derrière moi … Mais je ne crois pas que tout doive être conscient … On utilise son expérience, et aussi son intuition et ses instincts. Il y a beaucoup de tout cela dans cette série, à l’opposé d’autres projets élaborés de façon plus rationnelle." (Extrait d’une interview publiée dans le British Journal of Photography, juillet 2003)

Two Hours est une série de 11 photographies prises à La Havane en deux heures. Philip-Lorca diCorcia a installé son appareil-photo et son flash et les a dirigés vers un coin de rue animé, enregistrant tout ce qui s’y passait, de manière aléatoire. Le résultat montre des instants éphémères. En effet, le temps est le sujet principal de la série : un vieil homme s’arrête, peut-être regarde-t-il quelque chose, peut-être attend-il quelqu’un. Une femme en jaune figure sur quatre photographies, toujours à la même place, au milieu des passants… Certains protagonistes accomplissent les gestes banals du quotidien, alors que d’autres vivent peut-être un moment important de leur vie. Si certains ont le regard fixe, d’autres conversent. Aucun ne regarde l’objectif.

En 1989, Philip-Lorca diCorcia obtient une bourse d’État attribuée par la National Endowment of the Arts. La NEA venait d’être attaquée par le sénateur Jesse Helms et autres leaders politiques, pour avoir soutenu plusieurs artistes ou photographes, parmi lesquels Robert Mapplethorpe dont ils jugeaient le travail obscène. Helms dénonçait l’homosexualité, trop explicite selon lui, dans certaines photos de Mapplethorpe. La polémique à ce sujet avait pris d’autant plus d’ampleur que le SIDA faisait alors de plus en plus de victimes, dont Mapplethorpe qui en meurt en mars 1989. La NEA attribue sa bourse à Philip-Lorca diCorcia la même année et lui fait signer un contrat stipulant que le travail réalisé grâce à cette bourse ne doit pas avoir un caractère obscène.

Philip-Lorca diCorcia n’avait jamais conçu de séries. En 1990, il part à Hollywood et commence ses photos avec les prostitués (hustlers) de Santa Monica Boulevard. "Je faisais des photos dans des chambres d’hôtel, et puis je retournais dans la rue, comme les clients ordinaires des prostitués. Je m’avançais et je leur disais : "Je veux vous prendre en photo. Je vous paierai exactement ce que l’on vous paie pour une passe. Tout ce que vous aurez à faire sera de poser pour moi ; ensuite je vous raccompagnerai ici." Il était rare que j’essuie des refus. Souvent on me prenait pour un flic et quand nous étions à l’hôtel, mes "modèles" étaient surpris que je leur aie dit l’exacte vérité : seule leur image m’intéressait." (Philip-Lorca diCorcia, extrait d’un article du British Journal of Photography, juillet 2003)

Philip-Lorca diCorcia demande à chacun de ses modèles son nom, son âge, son lieu de naissance. Ces renseignements donnent le titre des photographies. À la frontière entre le reportage et l’Art conceptuel, son travail est accepté par la NEA.

En 1993, Philip-Lorca diCorcia entame un nouveau projet dans lequel la lumière devient un facteur principal. Il prend des clichés dans les principales villes du monde — Londres, Naples, Paris, New York… — où il installe son appareil et un flash qu’il cache à la vue des passants placés à leur insu dans une lumière irréelle. Images aléatoires, capturées par le fait du hasard. "La lumière, plus qu’un complément, était un élément fort de l’image ; elle avait quelque chose d’irrationnel ; je ne la considère pas comme métaphorique."

"Dans ses Streetworks, Philip-Lorca diCorcia tâche d’exprimer la précarité de l’existence individuelle. Circulant dans des villes, il y photographie souvent des foules dans lesquelles, grâce à un flash judicieusement dirigé, il fait ressortir un personnage de la masse dont il fige un mouvement. L’instant de la photographie, il donne une identité à la masse "informe", établit une tension potentielle entre l’individu et les autres, entre le chemin de l’un et le trafic de tous les autres, entre le rythme d’un être humain et l’accélération de la masse. Ce moment de mise en évidence accentue l’hybride, le côté hybride de l’être humain, entre être social et individu isolé." (Extrait d’un texte de Urs Stahel "L’Hybride" — traduit de l’allemand par Nicole Thiers — in La Photographie traversée, RIP / Arles, Éditions Actes Sud, 2000)

Il s’agit de photographies dont le fond est sombre, comme si elles avaient été prises de nuit, même si ce n’est pas forcément le cas. Les sujets, isolés, sont enveloppés dans une lumière diffuse qui provient de spots installés au-dessus d’eux. Cette lumière n’est pas celle d’un théâtre. Ces hommes et ces femmes ne sont pas des acteurs, ils ne voient pas la lumière, ils ne savent pas qu’ils vont être photographiés. Pourtant, à leur insu, à un instant précis, ils sont éclairés par un flash, parce qu’ils ont été sélectionnés par l’artiste. Aucun n’a été prévenu, rien n’a été convenu, ces gens sont anonymes. Tout ce que l’on sait, c’est qu’ils avancent dans la rue, ils vont au travail ou au restaurant ou bien marchent sans but précis. Soudain, ils sont frappés par l’éclair sans en avoir conscience. Ils continuent d’avancer mais le temps s’est arrêté pour eux à leur insu.

La série Heads a été réalisée à la suite de Streetwork, selon le même principe : mettre en lumière — pas seulement éclairer mais littéralement illuminer — une scène banale ou un personnage anonyme, leur conférant une dimension fictionnelle voire, dans certains cas, quasi religieuse. D’autres photographes avant Philip-Lorca diCorcia avaient photographié, de manière aléatoire, des personnes circulant dans un lieu public. Ainsi Walker Evans lorsqu’il réalisa en 1938 une série de portraits dans le métro de New York, au moyen d’un appareil photo dissimulé dans son pardessus. Installé dans une rame du métro, il tenait dans la main le déclencheur relié à l’appareil par un câble qui courait le long de sa manche, et se contentait d’appuyer chaque fois qu’une nouvelle personne s’asseyait en face de lui. Les ampoules incandescentes du métro, sous lesquelles ils étaient assis, donnaient à ces sujets un relief particulier ; ils devenaient les personnages d’une scène.

"L’art, comme la religion, cache autant qu’il révèle. Philip-Lorca diCorcia est excellent dans ce domaine. Ses photographies sont semblables à des feuilletons de tous les jours avec des vedettes sans nom. Ses personnages sont semblables à ce que E.M. Forster, dans Aspects du Roman, nommait les personnages banals, par opposition aux personnages conséquents. Ce sont des figurants, des gens de la rue surpris in medias res — des gens anonymes qui soudain acquièrent une identité. Il prépare une mise en scène afin de révéler un but caché quand des personnages se trouvent sans le savoir dans ses éclairages. Les images deviennent des images de Vanitas par défaut. Les éclairés ne sont pas des saints, ni des poètes se scrutant le nombril, mais des personnages séculaires dont le regard est fermement fixé sur nulle part. C’est ce que recherche la mode avec ses séductions, ses appels du pied, et ce qui a fait de Philip-Lorca diCorcia une cible pour les larcins nonchalants et quotidiens de la mode. Ses images fonctionnent. Elles sont des arrêts sur image de la vie en train de se passer. Mais c’est la photo elle-même qui capte notre attention — l’éclairage, la mise en scène, les personnages et le style. Les magazines souhaitent son genre de style direct et ne se gênent pas pour l’emprunter. Et pourquoi ? Peut-être parce que la mode souhaite avoir plus que du simple glamour. Une "vraie" photo de mode par Philip-Lorca diCorcia est bénie, car elle possède l’énigme que l’on ne trouve généralement que dans l’art et dans la religion. L’auteur d’un roman joue à être omnipotent. Dans les religions, Dieu est le patron. Les personnages de Philip-Lorca diCorcia nous montrent quelque chose du potentiel inconnu de la vie, qui est l’énigme incarnée. Il joue à être l’omnipotent pondéré, mais ne nous présente pas d’histoire bien ficelée ou de fin bien léchée. Gauguin a apposé "D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?" sur un de ses tableaux tahitiens à la mode. Philip-Lorca diCorcia pose les mêmes questions avec ses figurants au regard terne, ses garçons qui font le trottoir, et même ses mannequins. Dans ses œuvres, il donne à un personnage de la vraie vie une place de premier plan. Quel personnage mettre au premier plan dans une scène particulière est la décision qu’il doit prendre. C’est là que la photo se définit et là que nous reconnaissons son influence et son art qui, sous un éclairage intense, aborde le dilemme impénétrable de l’existence. Dans ses photos de mode les mêmes questions sont posées. Pourtant, ces photos seront toujours des photos de mode. Il le sait et nous le savons également." (Jeff Rian, extrait du texte Œil à gages, Almine Rech Éditions / Éditions Images Modernes, 2001) Pressetext f

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Philip-Lorca diCorcia
Koproduktion: Whitechapel Art Gallery, London, Museum Folkwang, Essen, Centro de Arte de Salamanca und Magasin 3 Stockholm Konsthall