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Jacques Vieille s’est longtemps intéressé à l’architecture avant de se préoccuper de jardins et aujourd’hui de paysage. Pensionnaire de la Villa Médicis pendant deux ans au tout début de sa carrière, il trouve à Rome le terrain idéal pour ses explorations d’esthète et pour l’approfondissement de ses premiers projets, déjà ancrés dans une relation spécifique au site et au bâti. Nous sommes en 1982-83. Progressivement la réflexion de l’artiste va s’appliquer plus précisément au point de rencontre du décor et de la structure en architecture. Un commentateur avisé, l’archéologue Christian Sapin, évoquera à cet égard « la fascination préromantique de l’ordre végétal comme genèse de l’ordre gothique » ; mais le décor peut alternativement s’envisager comme principe déterminant le parti architectural ou comme simple étape de finition.

Certes, au début des années 80, Vieille n’est pas, en France, le seul à s’adonner à la pratique de l’installation in situ, mais peu nombreux sont alors les artistes à s’intéresser, comme lui, et d’une manière aussi didactique, à l’architecture et à son histoire : déclinant par exemple toute une série de colonnes présentées debout, couchées à plat ou de biais (en appui sur un socle, une marche d’escalier…) et souvent coiffées de véritables corbeilles en guise de chapiteaux.

Après avoir introduit des végétaux fortement connotés dans ses constructions, bientôt Jacques Vieille a multiplié les interventions en extérieur. L’acanthe était auparavant une réminiscence de l’architecture antique ; le thuya, rappelait les banlieues pavillonnaires ; et le pommier ou le poirier firent plus récemment écho au verger de Versailles et à son jardinier Jean de La Quintinie. Depuis une dizaine d’années, Vieille a donc choisi de bifurquer de l’architecture vers le jardin puis vers le paysage et son travail a pris une orientation moins démonstrative, plus directe, cédant plus volontiers à l’impulsion esthétique immédiate. Ainsi passe-t-il beaucoup de temps en repérages puis en récoltes dans les magasins de matériaux, les unités de fabrication ou de conditionnement de produits destinés à l’agriculture pour se laisser aller à utiliser, pour leur couleur et leur plasticité, des outils ou des objets techniques agencés en subtiles compositions : toujours à l’affût d’une forme inédite pour un réemploi (un recyclage) inapproprié mais créant un nouveau sens. Et ainsi la démarche de Vieille peut-elle aujourd’hui s’apparenter à une forme d’art concret aux champs.

L’exposition de Kerguéhennec clôt un triptyque commencé au printemps 2000 au centre d’art de Vassivière et dont l’étape intermédiaire fut inaugurée à la mi-décembre au C.A.P.C., à Bordeaux, sous le titre Ermitage. Les trois institutions se sont unies pour la publication d’un catalogue qui documente ces trois interventions. A Vassivière Jacques Vieille avait réalisé une installation tirant parti des techniques de la culture hors-sol. A Bordeaux, il avait effectué une plongée archéologique dans son propre travail en rapprochant deux types de construction en un même édifice.

L’exposition de Kerguéhennec se présente en deux parties. L’une réunit dans la bergerie, aux volumes intimes, un choix d’œuvres existantes, de 1983 à 2000, ainsi qu’une première pièce vidéo de l’artiste. L’autre partie présente dans le grand espace des écuries deux installations créées pour l’occasion après que Jacques Vieille se soit familiarisé avec le contexte hautement spécifique du Domaine de Kerguéhennec ; puisque celui-ci réunit sur le même site, outre le centre d’art, centre culturel de rencontre et son parc de sculptures, un atelier de restauration de sculptures en bois polychrome et une antenne de la Chambre d’agriculture du Morbihan constituée d’un centre de formation et d’une ferme expérimentale.

Jacques Vieille a spontanément pris contact avec nous au printemps dernier pour faire, après plusieurs visites, une proposition dont découle l’exposition actuelle. Venu trois fois en Bretagne au cours des derniers mois, l’artiste a retrouvé aux angles du château le motif des pierres vermiculées qu’il a plusieurs fois utilisées dans le passé, il a aussi découvert dans le parc, qui fait l’objet d’une étude d’aménagement paysager, un environnement historique familier. Enfin il a tenu à visiter la ferme expérimentale voisine et plusieurs unités locales de l’industrie agroalimentaire pour étayer son projet d’intervention.

Deux nouvelles installations prennent donc place dans les écuries. La première consiste en un volume parallélépipédique translucide d’environ 15 × 3 × 0,50 m flottant dans l’espace à partir d’1 m de hauteur et constitué d’un feuilleté d’une dizaine de couches de filets pare-grêle en maille de plastique incolore. Ce volume en lévitation sera visible de l’extérieur, par les grandes baies vitrées, et de l’intérieur ; le visiteur étant alors invité à parcourir l’espace soit debout, sur les côtés, soit courbé sous cette chape immatérielle suspendu à 1 m au-dessus du sol.

La deuxième installation est descriptive.

Elle se propose comme une représentation métaphorique du paysage rural contemporain en quatre éléments : un sol, de très grands volumes débordant des produits de la terre dispersés dans l’espace (et rappelant de massives colonnes), une ambiance sonore et une ambiance olfactive. Pour le choix du sol, Jacques Vieille est à la pointe des recherches technologiques. Il s’agit d’une fibre textile cannelée remplie de matière caoutchouteuse qui vient à peine d’être mise au point pour recouvrir les sols meubles et ainsi faciliter le passage des animaux et des engins. Les grands volumes sont dus à la complicité du Domaine de Kerguéhennec et de la société voisine Cécaliment, basée à St-Allouestre. Ce sont de grands sacs « à bretelles » renfermant chacun plusieurs quintaux de luzerne préconditionnée en petits cylindres. Un produit naturel qui dégage une forte odeur de foin coupé. L’ambiance sonore reproduira en plusieurs transistors branchés sur les grandes ondes le fond musical produit par les autoradios dont sont équipées les cabines des tracteurs agricoles modernes.

catalogue en coédition, Domaine de Kerguéhennec, C.A.P.C., Bordeaux, Centre d’art de Vassivière ; texte de René Denizot.

Les actions du centre d’art contemporain, centre culturel de rencontre sont subventionnées par : le Conseil général du Morbihan, le Conseil régional de Bretagne et le Ministère de la culture, D.A.P., DRAC Bretagne.

Cette opération a été réalisée avec la complicité de La Criée, Centre d’art, Rennes, de l’Ecole supérieure des beaux-arts de Cornouaille, Quimper, et le concours technique de la Chambre d’agriculture du Morbihan et des entreprises Point P Bretagne, Locminé, Vélitex S.A., Versailles et Cécaliment, Saint-Allouestre.

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Jacques Vieille